Saisie d’une requête dirigée contre la Suisse, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a interprété, le 29 mars dernier, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à la liberté d’expression (Bédat c. Suisse, requête n°56925/08). Le requérant, ressortissant suisse, est un journaliste condamné à une amende de 4000CHF par les autorités nationales pour avoir publié un article comprenant des informations relevant du secret de l’instruction, notamment la correspondance du prévenu avec le juge d’instruction et des informations issues de son dossier médical, sur une affaire pénale en cours. Dans son arrêt de chambre rendu le 1er juillet 2014, la Cour avait estimé que la condamnation du requérant constituait une ingérence dans sa liberté d’expression, néanmoins prévue par la loi et poursuivant des buts légitimes, mais que la sanction pénale infligée était disproportionnée et, partant, violait l’article 10 de la Convention. Dans son arrêt de Grande Chambre, la Cour rejoint l’avis de la chambre sur l’existence de l’ingérence et estime, également, que celle-ci a une base légale et un but légitime. Son raisonnement porte donc essentiellement sur la question de savoir si une telle ingérence est nécessaire dans une société démocratique. La Cour rappelle que les restrictions à la liberté d’expression doivent être limitées lorsque sont concernées des questions d’intérêt général. Or, les propos relatifs au fonctionnement du pouvoir judiciaire font partie de ces questions. De plus, la protection de l’article 10 de la Convention offerte aux journalistes est subordonnée à la condition qu’ils respectent les principes d’un journalisme responsable, ce qui suppose, notamment, la licéité de leur comportement. Par ailleurs, il faut mettre en balance les intérêts en jeu, entre la nécessité de garantir la liberté d’expression et le droit de chacun de bénéficier d’un procès équitable, garanti par l’article 6 §1 de la Convention. En l’espèce, la Cour estime que le requérant ne pouvait ignorer le caractère confidentiel des informations portées à sa connaissance et estime que l’article dressait un portrait négatif du prévenu, abordant des questions que les autorités judiciaires étaient appelées à trancher. La Cour relève, également, que l’article n’apportait pas de contribution au débat car si le public a un intérêt légitime à être informé et que le sujet de l’article relevait bien de l’intérêt général, le contenu ne visait qu’à satisfaire la curiosité d’un certain public avec des informations strictement privées sur la vie du prévenu. La Cour estime, par ailleurs, que l’article a pu, en soi, influencer la conduite de la procédure pénale. La Cour rappelle que l’atteinte à la vie privée du prévenu, garantie par l’article 8 de la Convention, peut justifier une restriction de la liberté d’expression. Or, en l’espèce, les informations étaient de nature très personnelle, voire médicale. Enfin, la Cour observe que la révélation d’informations couvertes par le secret de l’instruction est sanctionnée dans les 30 Etats parties à la Convention étudiés et estime que la sanction prise à l’encontre du requérant n’était pas de nature à entrainer une forme de censure. Partant, la Cour conclut à la non-violation de l’article 10 de la Convention. (CG)