Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Supreme Court (Irlande), la Cour de justice de l’Union européenne a interprété, le 22 novembre dernier, le principe d’interdiction des pratiques abusives dans le domaine de la TVA, tel qu’il ressort de l’arrêt Halifax (aff. C-255/02), ainsi que les principes de sécurité juridique et de confiance légitime (Cussens, aff. C-251/16). Dans l’affaire au principal, les requérants étaient copropriétaires d’une zone de développement où ils ont construit des biens immobiliers destinés à la vente en Irlande. Ils ont conclu 2 contrats de bail avec une société qui leur est liée qui prévoyaient, d’une part, la location à la société des biens immobiliers pour 20 ans et, d’autre part, la relocation par la société de ces mêmes biens aux copropriétaires. Ces contrats ont pris fin par renonciation mutuelle des parties, 1 mois après leur conclusion. Les copropriétaires ont alors procédé à la vente des biens à des tiers. La législation irlandaise relative à la TVA prévoyait qu’aucune TVA n’était due sur ces ventes puisque les biens immobiliers avaient fait l’objet d’une 1ère livraison, soumise à la TVA, dans le cadre du bail de longue durée. Toutefois, l’administration fiscale a refusé d’exonérer les requérants de la TVA sur ce fondement, considérant que les contrats de bail visaient uniquement à éviter l’assujettissement ultérieur à la TVA lors de la vente. Saisie dans ce contexte, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour, notamment, sur le point de savoir, d’une part, si le principe d’interdiction des pratiques abusives peut, indépendamment de toute mesure nationale lui donnant effet, être directement appliqué afin de refuser d’exonérer la TVA des ventes de biens immobiliers, telles que celles en cause au principal. D’autre part, elle s’interroge sur le point de savoir si l’application de ce principe, sur le fondement d’un arrêt de la Cour, aux opérations en cause est conforme aux principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime alors même que l’arrêt visé est ultérieur auxdites opérations. Sur la 1ère question, la Cour relève que le principe d’interdiction des pratiques abusives, tel qu’appliqué en matière de TVA, trouve son fondement dans une jurisprudence constante selon laquelle les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir du droit de l’Union européenne, dont l’application ne saurait être étendue jusqu’à couvrir les pratiques abusives des opérateurs économiques. Elle ajoute que l’application de ce principe aux droits et avantages prévus par le droit de l’Union se fait indépendamment du point de savoir si ces derniers trouvent leur fondement dans les traités, dans un règlement ou dans une directive. En effet, la Cour précise que ce principe présente un caractère général inhérent, par nature, aux principes généraux du droit de l’Union. Partant, elle estime que le principe peut être opposé à un assujetti pour lui refuser le bénéfice d’une exonération de TVA même en l’absence de dispositions du droit national prévoyant un tel refus. Sur la 2nde question, la Cour considère que son interprétation du droit de l’Union, en matière préjudicielle, éclaire et précise la portée et la signification de ce droit tel qu’il aurait dû être compris et appliqué lors de son entrée en vigueur. Partant, elle estime que ce droit doit être appliqué par le juge à des situations nées et constituées avant l’arrêt en interprétation sur renvoi préjudiciel, sauf circonstances exceptionnelles. Par ailleurs, la Cour note que dans son arrêt Halifax, elle n’a pas limité les effets dans le temps de l’interprétation donnée alors qu’une telle limitation ne peut avoir lieu que dans l’arrêt statuant sur l’interprétation sollicitée. (MS)