Saisie d’une requête dirigée contre la Grèce, la Cour européenne des droits de l’homme a interprété, le 30 mars dernier, l’article 4 §2 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif à l’interdiction du travail forcé (Chowdury e. a. c. Grèce, requête n°21884/15). Les requérants, ressortissants bangladais, ont été recrutés comme ouvriers agricoles. Leurs employeurs ne leur versaient pas leurs salaires et les faisaient travailler dans des conditions physiques extrêmes, sous le contrôle de gardes armés. A la suite d’une grève visant à obtenir le paiement de leurs salaires, l’un des gardes armés a fait feu sur les requérants, en blessant certains grièvement. Les juridictions nationales ont acquitté les employeurs du chef d’inculpation de traite des êtres humains estimant que les ouvriers ne se trouvaient pas dans l’impossibilité absolue de se protéger eux-mêmes et que leur liberté de mouvement n’était pas compromise. Par ailleurs, ces derniers ont été condamnés pour dommages corporels graves et usage illégal d’armes à feu et leurs peines de réclusion ont été, ensuite, converties en une sanction pécuniaire. Les requérants alléguaient une violation de l’article 4 §2 de la Convention, dans la mesure où l’Etat a failli à son obligation d’empêcher leur soumission à une situation de traite des êtres humains, d’adopter des mesures préventives à cet effet et de sanctionner les employeurs. S’agissant de la qualification de travail forcé, la Cour considère que, lorsqu’un employeur abuse de son pouvoir ou tire profit de la situation de vulnérabilité de ses ouvriers afin de les exploiter, ceux-ci n’offrent pas leur travail de plein gré et, dès lors, la situation des requérants relève de l’article 4 §2 de la Convention. S’agissant des obligations positives incombant à l’Etat, la Cour rappelle que les autorités nationales doivent mettre en place un cadre juridique et réglementaire approprié, des mesures opérationnelles et préventives, et diligenter des enquêtes judiciaires effectives permettant de sanctionner les responsables. A cet égard, la Cour note qu’en omettant de vérifier si les allégations des requérants étaient fondées, le procureur a failli à son obligation d’enquêter de manière effective. Elle relève, par ailleurs, que le procureur près la Cour de cassation a refusé de se pourvoir en cassation contre l’arrêt d’acquittement et que le droit à l’indemnisation des victimes n’a pas été respecté. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 4 §2 de la Convention au titre de l’obligation procédurale de l’Etat d’assurer une enquête et une procédure judiciaire effective sur la situation de traite des êtres humains et de travail forcé. (JL)