Saisie d’une requête dirigée contre le Danemark, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a interprété, le 24 mai dernier, les articles 14 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme relatifs, respectivement, à l’interdiction de la discrimination et au droit au respect à la vie privée et familiale (Biao c. Danemark, requête n°38590/10). Les requérants, un citoyen danois naturalisé d’origine togolaise et son épouse ghanéenne, se plaignaient de ne pouvoir s’installer au Danemark. Ils dénonçaient, notamment, le fait que les autorités danoises avaient refusé de leur accorder le bénéfice du regroupement familial au motif qu’ils ne satisfaisaient pas à la condition posée par la législation interne applicable, selon laquelle les candidats au regroupement familial ne doivent pas avoir avec un autre pays, en l’occurrence le Ghana, des attaches plus fortes que celles qu’ils entretiennent avec le Danemark. Par ailleurs, ils alléguaient qu’une modification apportée en décembre 2003 à la condition des attaches, qui dispensait de cette condition les personnes titulaires de la nationalité danoise depuis au moins 28 ans, induisait une différence de traitement entre les danois de naissance et ceux qui, comme les requérants, avaient acquis la nationalité danoise après la naissance. La Cour estime que le motif pour justifier l’introduction de la règle des 28 ans, selon lequel celle-ci visait à assurer que la condition des attaches n’aurait pas d’effets non voulus à l’égard des citoyens danois expatriés qui avaient fondé une famille à l’étranger et qui auraient eu des difficultés à satisfaire à cette condition à leur retour au Danemark, repose dans une large mesure sur des arguments spéculatifs. En particulier, la question de savoir si un citoyen danois a créé avec le Danemark des liens suffisamment forts pour qu’un regroupement familial avec un conjoint étranger présente des chances de succès du point de vue de l’intégration de ce dernier ne peut dépendre exclusivement de la durée depuis laquelle l’individu concerné possède la nationalité danoise, qu’il s’agisse de 28 ans ou d’une durée moindre. En outre, la Cour estime que ce raisonnement ne tient pas compte d’un certain nombre d’éléments de la situation du requérant, notamment du fait que celui-ci avait résidé au moins 9 ans au Danemark pour obtenir la nationalité, qu’il avait justifié de sa connaissance de la langue et de la société danoises, et qu’il avait fait la preuve de sa capacité à subvenir à ses besoins. En conséquence, la Cour estime qu’il n’est pas démontré qu’il existait des considérations impérieuses ou très fortes non liées à l’origine ethnique propres à justifier l’effet indirectement discriminatoire de la règle des 28 ans. Partant, la Cour conclut la violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention. (MF)