Saisie d’une requête dirigée contre la Turquie, la Cour européenne des droits de l’homme a interprété, le 30 janvier dernier, l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 2 du Protocole n°14 à la Convention relatifs, respectivement, à l’interdiction de la discrimination et au droit à l’instruction (Enver Şahin c. Turquie, requête n°23065/12). Le requérant, ressortissant turc, est devenu paraplégique à la suite d’un accident alors qu’il était étudiant. Les instances universitaires ont refusé de répondre positivement à sa demande de travaux d’aménagements des bâtiments universitaires adaptés à son état physique en raison de l’absence de ressources financières susceptibles d’y être rapidement consacrées et lui ont proposé l’aide d’un accompagnant dans l’enceinte de l’université. Estimant que cela porterait atteinte à son intimité, le requérant a refusé et s’est trouvé contraint de renoncer à ses études. Devant la Cour, il se plaignait d’une atteinte discriminatoire à son droit à l’instruction et reprochait à l’Etat turc de ne pas avoir pris les mesures positives qui lui incombaient et qui auraient pu lui permettre de poursuivre son cursus universitaire. S’agissant de la position prise par les instances universitaires, la Cour relève, tout d’abord, qu’elle ne saurait accepter que la question de l’accessibilité de la faculté au requérant puisse rester suspendue jusqu’à l’obtention des fonds nécessaires à l’achèvement des travaux d’aménagement imposés par la loi. Elle considère, ensuite, que l’aide proposée d’un accompagnant ne visait qu’à assurer les déplacements du requérant dans l’enceinte de la faculté et rappelle, d’une part, que la possibilité pour les personnes souffrant d’un handicap de vivre de façon autonome et dans le plein épanouissement du sentiment de dignité et d’estime de soi est d’une importance capitale, et, d’autre part, que la dignité de l’homme, y compris la liberté de faire ses propres choix, sont l’essence même de la Convention. Enfin, elle précise que rien dans le dossier ne la convainc que le rectorat ait proposé une telle mesure au terme d’une évaluation réelle des besoins du requérant et d’une considération sincère de ses effets potentiel sur sa sécurité, sa dignité et son autonomie. S’agissant de la réaction judiciaire, la Cour relève qu’en vertu du principe de subsidiarité, il appartenait, en 1er lieu, au juge national de mettre en œuvre les droits en jeu, en vérifiant si un juste équilibre avait été ménagé entre les intérêts concurrents de l’intéressé et de la société dans son ensemble. Elle observe que celle-ci est restée muette sur ces aspects, qu’elle a estimé suffisant de rappeler qu’une personne serait désignée pour assister le requérant sans étayer en quoi pareille solution pouvait s’avérer adéquate et qu’elle a omis de chercher à identifier les solutions susceptibles de lui permettre de reprendre ses études sans pour autant que cela constitue pour l’administration une charge disproportionnée ou indue. La Cour juge que la Turquie n’a pas démontré que les autorités nationales ont réagi avec la diligence requise pour que le requérant puisse continuer à jouir de son droit à l’éducation sur un pied d’égalité avec les autres étudiants et pour que, en conséquence, le juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents en jeu ne soit pas rompu. Partant, elle conclut à la violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 2 du Protocole n°1 à la Convention. (MT)