Saisie d’une requête dirigée contre la Finlande, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a, notamment, interprété, le 27 juin dernier, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, relatif à la liberté d’expression (Satakunnan Markkinapörssi oy et Satamedia Oy c. Finlande, requête n°931/13). Les requérantes, 2 sociétés détenues par les mêmes actionnaires, recueillaient des données auprès des autorités fiscales nationales aux fins de publier dans un magazine des informations sur les revenus imposables et le patrimoine des personnes physiques, données accessibles au public en droit finlandais, puis, ont lancé avec un opérateur de téléphonie un service de messagerie téléphonique permettant d’obtenir sur son téléphone portable des informations fiscales sur les personnes référencées. La commission de protection des données de Finlande a conclu que la dérogation concernant les activités de journalisme prévue par la loi sur les données à caractère personnel s’appliquait en l’espèce. A la suite du rejet par le tribunal administratif du recours formé par les requérantes, la Cour administrative suprême, en application de l’arrêt C-73/07 de la Cour de justice de l’Union européenne, a annulé les décisions de la commission de protection des données et du tribunal administratif et a renvoyé l’affaire devant la première. Celle-ci a jugé que la collecte et le traitement des données ne pouvaient être jugés contraires aux règles de la protection des données mais que, compte tenu des modalités de publication et de l’échelle à laquelle les données à caractère personnel avaient été diffusées, elle a estimé que les requérantes avaient procédé à un traitement des données contrevenant à la loi et a interdit de collecter, conserver ou transmettre à un service de SMS toute information extraite des fichiers publiés dans le magazine. Le tribunal administratif a rejeté le recours des requérantes, rejet confirmé par la Cour administrative suprême. Saisie dans ce contexte, la Cour note, tout d’abord, que les données collectées et traitées par les sociétés requérantes et publiées par elles, relevaient clairement de la vie privée de celles-ci, indépendamment du fait que le public avait la possibilité d’accéder à ces données suivant certaines règles. Ensuite, la Cour relève que l’interdiction en cause a entraîné une ingérence dans l’exercice du droit de communiquer des idées, ingérence prévue par la loi en raison de sa prévisibilité pour les sociétés requérantes. La Cour considère que l’ingérence poursuivait le but légitime de la protection de la réputation ou des droits d’autrui, comme en atteste le fait que les autorités nationales ont agi sur le fondement de plaintes concrètes d’individus alléguant que la publication par le magazine avait porté atteinte à leur droit à la vie privée. Enfin, s’agissant de la nécessité dans une société démocratique de cette ingérence, la Cour considère que l’existence d’un intérêt général à l’accessibilité de ces données ne signifiait pas nécessairement qu’il existait un intérêt général à diffuser en masse de pareilles données brutes et que l’intérêt pour de telles données relevait d’une forme de sensationnalisme voire de voyeurisme. Selon elle, la publication ne saurait donc passer pour contribuer à un débat d’intérêt général. En outre, si les informations n’ont pas été obtenues par des moyens illicites, la Cour souligne que les garanties contenues dans le droit national ont été introduites en raison de l’accessibilité au public des données fiscales à caractère personnel et que les juridictions internes ont cherché à ménager un équilibre entre la liberté d’expression et le droit à la vie privée. L’ingérence était donc nécessaire dans une société démocratique. Partant, la Cour conclut à la non-violation de l’article 10 de la Convention. (JJ)