Saisie d’une requête dirigée contre la Suisse, la Cour européenne des droits de l’homme a interprété, le 21 juin dernier, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, relatif à la liberté d’expression (E. S. c. Suisse, requête n°34124/06 – disponible uniquement en anglais). La requérante, la société suisse de radiodiffusion et télévision SSR, avait souhaité accéder à un centre pénitentiaire suisse afin d’y filmer et d’interviewer une détenue purgeant une peine d’emprisonnement pour meurtre, puis de diffuser cette interview dans une émission nationale hebdomadaire. Le centre pénitentiaire, puis les juridictions nationales, avaient rejeté sa demande pour des motifs tenant, notamment, au maintien du calme, de l’ordre et de la sécurité dans l’établissement ainsi qu’à l’égalité de traitement entre les détenues. Invoquant l’article 10 de la Convention, la société requérante se plaignait de ne pas avoir été autorisée à filmer dans un centre pénitentiaire aux fins d’y interviewer une détenue. La Cour observe qu’en présence d’une question de liberté d’expression dans le cadre d’une émission de télévision sérieuse consacrée à un sujet d’intérêt général majeur, les autorités suisses disposaient d’une marge d’appréciation restreinte pour juger que l’interdiction de filmer répondait à un besoin social impérieux. La Cour considère que les tribunaux n’ont pas basé leur refus sur des motifs pertinents et suffisants, tant sur le point du droit des codétenues que du maintien de l’ordre. En outre, elle estime que les alternatives au tournage proposées, telle qu’une interview téléphonique, n’a aucunement remédié à l’ingérence causé par le refus d’autorisation de filmer en prison. La Cour conclut que l’interdiction opposée à la société requérante de filmer dans la prison, prononcée de manière absolue, ne correspondait pas à un besoin social impérieux et, partant, à la violation de l’article 10 de la Convention. (AG)