Saisie d’une requête dirigée contre la France, la Cour européenne des droits de l’homme a, notamment, interprété le 19 mars dernier, les articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme relatifs, respectivement, au droit à la liberté et à la sûreté et au droit au procès équitable (Corbet et autres c. France, requêtes n°7494/11, 7493/11 et 7989/11). Dans l’affaire au principal, les requérants, 3 ressortissants français, étaient impliqués dans l’établissement du plan de reprise de la compagnie aérienne Air Liberté, avant le placement en liquidation judiciaire de celle-ci. L’Assemblée nationale française a mis en place une commission d’enquête sur les causes économiques de la faillite de la compagnie et a entendu les requérants sous serment. Le rapport parlementaire a, ensuite, été transmis au procureur de la République de Paris. Soupçonnés de détournements d’actifs au sein de la compagnie au préjudice de celle-ci, les requérants ont été poursuivis et déclarés coupables d’abus de biens sociaux, de complicité et recel d’abus de biens sociaux. Invoquant l’article 6 de la Convention, ils alléguaient que leur droit au procès équitable avait été violé, en ce sens que le ministère public avait laissé se dérouler l’enquête parlementaire dans le but d’utiliser leurs déclarations qu’ils étaient tenus de déposer sous serment et sous peine de sanctions, et donc de passer outre le droit de se taire dont ils auraient bénéficié s’ils avaient été entendus dans le cadre d’une garde à vue. Ils soutenaient, en outre, que le rapport parlementaire transmis au ministère public avait servi de fondement aux poursuites pénales dont ils avaient fait l’objet. Par ailleurs, l’un des requérants estimait que son droit à la liberté et à la sûreté avait été violé, étant donné qu’il n’avait pas été présenté à un juge d’instruction dans un délai raisonnable à l’issue de sa garde à vue. La Cour rappelle, tout d’abord, s’agissant de l’article 6 de la Convention, que le droit de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination constitue une norme internationale généralement reconnue comme étant incluse dans la notion de « procès équitable ». Ensuite, elle relève que les éléments recueillis par la commission parlementaire d’enquête ont, en effet, été pris en compte dans le cadre de la procédure pénale dont les requérants ont fait l’objet, mais qu’ils n’ont, toutefois, servi qu’à établir le contexte factuel de l’affaire. En outre, la Cour observe que le rapport parlementaire n’a pas été le support exclusif des poursuites, étant donné que le réquisitoire introductif faisait également référence à la procédure diligentée par la brigade financière et aux révélations de Tracfin. Enfin, elle note que les requérants n’ont pas démontré que l’utilisation des déclarations faites devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale a eu un impact sur le verdict de culpabilité ou les peines prononcées. S’agissant de l’article 5 de la Convention, elle constate que la seconde phase de détention qu’a subie le premier requérant après sa garde à vue était illégale, en ce sens qu’aucune disposition de droit interne ne réglementait la détention d’une personne entre le moment de la fin de sa garde à vue et celui de sa présentation devant le juge d’instruction. Partant, la Cour conclut à la non-violation de l’article 6 de la Convention et à la violation de l’article 5 de la Convention. (DH)