Saisie d’une requête dirigée contre la France, la Cour européenne des droits de l’homme a interprété, le 6 avril dernier, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit au respect de la vie privée et familiale (A.P., Garçon et Nicot c. France, requêtes n°79885/12, 52471/13 et 52596/13). Les requérants, ressortissants français, sont des personnes transgenres dont les demandes tendant à la rectification de la mention de leur sexe sur leur acte de naissance ont été rejetées par les autorités françaises au motif qu’ils n’avaient pas démontré le caractère irréversible de la transformation de leur apparence. Ils soutenaient que cette condition, impliquant une opération ou un traitement entraînant une stérilité irréversible, emportait violation de l’article 8 de la Convention. Ils soutenaient, également, que la condition liée à la preuve de la réalité du syndrome transsexuel et la soumission préalable à une expertise médicale traumatisante constituent également des violations de ladite disposition. S’agissant de la condition d’irréversibilité de la transformation de l’apparence, la Cour note qu’à l’époque des faits, le droit français assujettissait la reconnaissance des personnes transgenres à la réalisation d’une opération stérilisante. A cet égard, si elle admet que les Etats parties disposent d’une marge d’appréciation, elle précise que celle-ci est restreinte compte tenu du fait que l’intégrité physique des personnes est directement en cause et que le droit à l’identité sexuelle et à l’épanouissement personnel est un aspect fondamental du droit au respect de la vie privée. A cet égard, la Cour affirme que conditionner la reconnaissance de l’identité sexuelle des personnes transgenres à la réalisation d’une opération ou d’un traitement stérilisants qu’elles ne souhaitent pas subir, revient à conditionner le plein exercice de leur droit au respect de leur vie privée, prévu à l’article 8 de la Convention, à la renonciation au plein exercice de leur droit au respect de leur intégrité physique que garantit, non seulement, cette disposition mais aussi l’article 3 de la Convention. Dès lors, elle conclut que le fait de placer les personnes transgenres devant un dilemme insoluble, à savoir subir une stérilisation ou renoncer à la reconnaissance de leur identité sexuelle, est constitutif d’une violation de l’article 8 de la Convention. S’agissant de la condition de réalité du syndrome transsexuel la Cour observe que cette condition existe dans la quasi-totalité des Etats parties, lesquels disposent d’une marge d’appréciation et, sur ce point, conclut à la non-violation de l’article 8 de la Convention. Concernant, enfin, l’obligation de subir un examen médical, la Cour estime qu’en matière de régime probatoire, les Etats parties disposent d’une très large marge d’appréciation et qu’en l’espèce, le juge interne a maintenu un juste équilibre entre les intérêts concurrents en présence. Partant, elle conclut à la non-violation de l’article 8 de la Convention sur ce point. (JL)