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ARRET HALMER

La présente note analyse l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») en date du 19 décembre 2024, dans l’affaire Halmer Rechtsanwaltsgesellschaft UG (C-295/23).

Par cette décision, la Cour examine si une réglementation allemande interdisant la participation d’investisseurs purement financiers au capital d’une société d’avocats est compatible avec les libertés du marché intérieur.

Rappel des faits 

Saisie d’un renvoi préjudiciel en interprétation par le conseil de discipline des avocats de Bavière (Allemagne), la Cour devait se prononcer dans le cadre d’un litige opposant la société d’avocats Halmer Rechtsanwaltsgesellschaft UG (« HR ») à l’ordre des avocats du barreau de Munich. 

En 2021, M. Halmer, gérant et associé unique de la société d’avocats HR, avait cédé 51% de ses parts à la SIVE GmbH (« SIVE »), une société à responsabilité limitée autrichienne obtenant dès lors une participation majoritaire dans le capital de HR. L’opération de la SIVE s’inscrivait dans une logique purement financière puisque celle-ci n’était pas autorisée à fournir des conseils juridiques. Les statuts de HR avaient été modifiés afin de réserver la gestion de HR aux seuls avocats inscrits au barreau, et ainsi préserver l’indépendance de la structure.

L’ordre des avocats de Munich avait néanmoins considéré que la cession était interdite en vertu de la réglementation allemande qui autorise seulement les avocats ainsi que les membres de certaines professions libérales à devenir associés d’une société d’avocats[1]. Cette réglementation prévoit également que les nouveaux associés doivent exercer une activité professionnelle au sein de la société, et que la majorité des parts sociales et des droits de vote doit appartenir aux avocats.  La cession des parts sociales de la société HR à la société SIVE ne remplissant pas ces conditions, HR avait été radiée du barreau.

HR avait contesté sa radiation devant le conseil de discipline des avocats de Bavière qui a décidé de surseoir à statuer et de poser les questions préjudicielles suivantes à la CJUE. 

Questions préjudicielles posées à la Cour

Le conseil de discipline des avocats de Bavière a demandé à la Cour si les exigences susmentionnées prévues par la réglementation allemande quant à l’obtention de la qualité d’associé au sein d’une société d’avocats constituaient des restrictions justifiées à la libre circulation des capitaux, à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services. 

Rappel des conclusions de l’avocat général

Dans ses conclusions en date du 4 juillet 2024, l’Avocat général (« AG ») Campos Sánchez-Bordona estimait que la principale liberté affectée était la liberté d’établissement car la réglementation nationale en cause avait pour objet primordial de limiter l’établissement des opérateurs économiques, et ne portait atteinte, que de manière secondaire, à la liberté de circulation des capitaux. 

L’AG avait alors examiné la compatibilité de la réglementation en cause avec la directive service 2006/123/CE qui détermine les critères permettant de vérifier si une restriction à la liberté d’établissement est justifiée : non-discrimination, poursuite d’une raison impérieuse d’intérêt général et proportionnalité.

Selon l’AG, la réglementation visée remplissait bien les critères de non-discrimination et de poursuite d’une raison impérieuse d’intérêt général. Cependant, il estimait que celle-ci ne remplissait pas le critère de la proportionnalité. L’AG considérait notamment que la limitation de la participation sociale à certaines catégories professionnelles réglementées, tout en excluant d’autres catégories répondant aux mêmes critères justificatifs, privait la mesure restrictive de la cohérence nécessaire pour atteindre le but recherché (cons. 83). Également, il estimait que la réserve de la double majorité du capital et des votes aux avocats n’était pas suffisante, sans autres précautions, pour répondre à l’objectif de garantir l’indépendance professionnelle des avocats (cons. 93).

Raisonnement de la Cour

La Cour relève en premier lieu que si la juridiction de renvoi vise la libre prestation de services, rien n’indique que la SIVE entendait se prévaloir de cette liberté pour fournir des services juridiques. La Cour écarte donc le raisonnement fondé sur cette liberté. 

Après s’être interrogée sur la liberté fondamentale à appliquer au litige au principal – ce qui implique de prendre en compte l’objet de ladite réglementation et les éléments factuels du cas d’espèce – la Cour conclut que l’affaire relève tout autant de la liberté d’établissement que de la libre circulation des capitaux car aucune de ses libertés ne peut être considérée comme étant secondaire par rapport à l’autre (pts.50-57).

S’agissant de la liberté d’établissement, la Cour rappelle que les services de conseil juridique relèvent du champ d’application de la directive 2006/123/CE, et qu’en limitant le champ des personnes aptes à s’associer à une société d’avocat, la réglementation nationale en cause pose des « exigences » qui doivent répondre aux conditions énoncées à l’article 15, paragraphe 3 de ladite directive pour être compatibles avec le droit de l’Union. Les exigences doivent être non discriminatoires, nécessaires et proportionnées à l’objectif visé. La première condition étant aisément remplie, seules les deux dernières conditions font l’objet d’une analyse particulière de la Cour. 

Concernant le caractère nécessaire, qui renvoie à l’existence d’une justification liée à une raison impérieuse d’intérêt général, la Cour relève que les exigences énoncées par la réglementation allemande ont pour finalité d’assurer l’indépendance et l’intégrité de la profession d’avocat, ainsi que le respect du principe de transparence et de l’obligation du secret professionnel des avocats. Ces objectifs sont liés à la protection des destinataires des services et à une bonne administration de la justice, qui constituent, toutes deux, des raisons impérieuses d’intérêt général (pts.64-65). La condition de la nécessité est donc bien remplie. 

La Cour considère que le critère de la proportionnalité est également rempli et justifie cela par deux éléments (pts. 67-74). Premièrement, la Cour considère qu’un investisseur purement financier se limite à la recherche du profit, tandis que les avocats et les autres professions libérales concernées par la réglementation allemande visent, outre un objectif économique, le respect de règles professionnelles et déontologiques. La présence d’un investisseur purement financier dans une société d’avocats pourrait alors avoir un impact sur son organisation et ses activités, puisque celui-ci, recherchant uniquement à faire fructifier son investissement, pourrait être tenté de solliciter la réduction de coûts, ou la recherche d’un certain type de clients ce qui constitue une menace suffisante en termes d’influence, même indirecte, sur l’indépendance des avocats (pts.67-71).

Deuxièmement, la Cour rappelle qu’en l’absence d’harmonisation, au niveau de l’Union, des règles professionnelles et déontologiques applicables à la profession d’avocatchaque Etat membre est libre de régler l’exercice de la profession sur son territoire et notamment de considérer que l’indépendance de l’avocat et le respect de ses obligations professionnelles et déontologiques sont menacés si un investisseur purement financier acquiert des parts dans le capital social d’une société d’avocats (pts. 72-73). Dès lors, un Etat membre est également en droit d’estimer que les mesures prises dans les statuts de la société d’avocats en vue de préserver l’indépendance et l’intégrité des avocats ne sont pas suffisantes pour garantir les objectifs susmentionnés (pt.74).

S’agissant de la libre circulation des capitaux consacrée par l’article 63, paragraphe 1, TFUE, la Cour estime que la réglementation nationale en cause constitue bien une restriction à cette liberté, puisqu’elle empêche les investisseurs d’autres Etats membres d’acquérir des parts dans la société d’avocats allemande. Cependant, la Cour rappelle qu’une restriction à cette liberté doit être non discriminatoire et peut être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, à condition qu’elle soit proportionnée à l’objectif poursuivi. La Cour conclut que l’analyse effectuée concernant la liberté d’établissement conduit à une conclusion similaire pour la libre circulation des capitaux (pts.75-80). 

Conclusion

En conclusion, la Cour considère qu’une réglementation nationale qui interdit la participation d’investisseurs purement financiers au capital d’une société d’avocats est compatible avec le droit de l’Union, et plus précisément, avec la libre circulation des capitaux et la directive 2006/123 qui concrétise la liberté d’établissement. 

Les restrictions portées à ces deux libertés par la réglementation nationale en cause visent à assurer l’indépendance et l’intégrité de la profession d’avocat et sont ainsi justifiées par les raisons impérieuses d’intérêts générales que sont la protection des destinataires de services juridiques et la bonne administration de la justice

On remarque que l’arrêt de la Cour s’écarte des conclusions de l’AG sur plusieurs points. En premier lieu, l’AG avait préconisé de retenir la liberté d’établissement au détriment de la liberté de circulation des capitaux, tandis que la Cour retient les deux libertés, estimant qu’aucune de celles-ci ne peut être considérée comme secondaire par rapport à l’autre. Le régime de restriction de ces deux libertés étant le même, cette divergence n’a cependant pas de répercussions importantes puisque la Cour applique une analyse similaire de l’existence des critères de non-discrimination, de poursuite d’une raison impérieuse d’intérêt général et de proportionnalité (pts 78-79). 

Le deuxième point de divergence important entre les conclusions et cet arrêt porte sur l’analyse de la proportionnalité de la réglementation nationaleL’AG avait considéré que ce critère était défaillant, notamment car la limitation de la participation sociale à certaines catégories professionnelles, alors que d’autres répondaient aux mêmes critères justificatifs et n’étaient pas autorisées à participer au capital social, n’était pas cohérent. L’AG estimait également que la réserve de la double majorité du capital et des votes aux avocats n’était pas suffisante, sans autres précautions, pour répondre à l’objectif de garantir l’indépendance des avocats (cons. 83 et 93). L’AG en avait conclu que la règlementation en cause établissait une restriction non justifiée à la liberté d’établissement et était donc contraire au droit de l’Union. La Cour, au contraire, considère que le critère de la proportionnalité est bien rempli au regard de la menace que fait peser un investisseur purement financier sur l’indépendance des avocats, et de la marge de manœuvre dont dispose les Etats membres pour régler l’exercice de la profession sur leur territoire. 


[1] Le nouveau statut des avocats entré en vigueur le 1er août 2022 ouvre davantage le cercle des personnes pouvant participer à une société d’avocats en ajoutant les ingénieurs, les architectes, les chimistes commerciaux, etc. 

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