Saisie d’une requête dirigée contre la Belgique, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a interprété, le 13 décembre dernier, les articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme relatifs, respectivement, à l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants et au droit au respect de la vie privée et familiale (Paposhvili c. Belgique, requête n°41738/10). Le requérant, ressortissant géorgien, était établi en Belgique de manière irrégulière. Atteint d’un cancer grave, le requérant a introduit plusieurs demandes successives de régularisation pour raisons médicales en alléguant l’absence de possibilité de traitement s’il était renvoyé en Géorgie. Toutes ses demandes ont été rejetées au motif que le requérant était exclu de l’application des dispositions du droit national en matière des étrangers malades compte tenu des crimes graves qu’il avait commis, sans qu’aucune instance saisie n’examine sa situation médicale. En effet, les juridictions ont estimé que cette évaluation devait se faire au moment de l’exécution forcée de la mesure d’éloignement. Par un arrêt de Chambre en date du 17 avril 2014, la Cour a jugé qu’aucune circonstance exceptionnelle ne s’opposait à l’éloignement du requérant. Saisie dans ce contexte, la Cour rappelle que les étrangers qui sont sous le coup d’un arrêté d’expulsion ne peuvent en principe revendiquer un droit à rester sur le territoire d’un Etat contractant afin de continuer à bénéficier de l’assistance et des services médicaux, sociaux ou autres, fournis par l’Etat de renvoi, à moins que des circonstances exceptionnelles ou des considérations humanitaires impérieuses ne s’opposent à son expulsion. La Cour précise que l’éloignement d’une personne gravement malade, bien que ne courant pas de risque imminent de mourir et qui ferait face, en raison de l’absence de traitements adéquats dans le pays de destination ou du défaut d’accès à ceux-ci, à un risque réel d’être exposée à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant des souffrances intenses ou à une réduction significative de son espérance de vie, pose un problème au regard de l’article 3 de la Convention. Dès lors, les autorités nationales ont l’obligation de mettre en place les procédures adéquates permettant d’examiner ces conditions. A cet égard, il leur appartient de vérifier au cas par cas si les soins généralement disponibles dans l’Etat de destination sont suffisants et adéquats en pratique pour traiter la pathologie dont souffre l’intéressé et de s’interroger sur la possibilité d’avoir accès à ces soins dans l’Etat de destination. La Cour conclut qu’en l’espèce, l’absence d’évaluation du risque encouru à la lumière des données relatives à l’état de santé du requérant aurait emporté violation de l’article 3 de la Convention si le requérant avait été renvoyé. S’agissant de la violation alléguée de l’article 8 de la Convention, la Cour observe que les autorités belges n’ont pas examiné le degré de dépendance à la famille que la dégradation de l’état de santé avait induit dans le chef du requérant. Elle affirme, dès lors, qu’il leur appartenait d’examiner si, eu égard à la situation concrète du requérant au moment du renvoi, on pouvait raisonnablement attendre de la famille qu’elle le suivît en Géorgie ou si, dans le cas contraire, le respect du droit du requérant au respect de sa vie familiale exigeait qu’il fût autorisé à séjourner en Belgique pour le temps qui lui restait à vivre. Elle conclut donc que son éloignement, sans examen desdites données, aurait emporté violation de l’article 8 de la Convention. (JL)