A l’occasion de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, les projets d’actes législatifs dans le domaine du numérique sont nombreux. Un grand nombre d’entre eux intéresse directement la profession d’avocat qui se mobilise.
Un tour d’horizon des dossiers relatifs à numérisation de la justice (I), à l’utilisation de systèmes d’intelligence artificielle (« IA ») dans le domaine de la justice (II) ainsi qu’aux Digital Acts (III) permettra de dresser un premier état des lieux des discussions et actions en cours.
Quatre principaux sujets d’intérêt sont sur la table des négociations ou en cours d’examen en matière de numérisation de la justice : la proposition de règlement relatif au système e-CODEX (A), la proposition de règlement concernant les preuves électroniques (B), la proposition de règlement eID pour une identité numérique (C) ainsi que le nouveau paquet législatif relatif à la numérisation des systèmes judiciaires de l’Union européenne présenté récemment (D).
A. La proposition de règlement relatif au système e-CODEX
La Commission européenne a publié, le 2 décembre 2020, la proposition de règlement relatif à un système de communication informatisé pour les procédures civiles et pénales transfrontières (système e-CODEX). Elle s’inscrit dans le cadre de sa stratégie pour numériser les procédures judiciaires afin de favoriser l’interopérabilité des différents systèmes nationaux et soutenir l’utilisation des nouvelles technologies au sein des systèmes judiciaires.
Du côté des institutions. Il s’agit du dossier le plus abouti au niveau des négociations interinstitutionnelles. Il pourrait faire l’objet d’une adoption formelle sous présidence française de l’Union européenne. En effet, la présidence slovène et le Parlement européen sont parvenus à un accord provisoire en décembre 2021 et le texte est désormais soumis à l’approbation du Conseil et du Parlement européen. Les députés de la commission LIBE (Libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures) du Parlement européen et ceux de la commission JURI (Affaires juridiques) ont voté en faveur de l’accord interinstitutionnel sur la réforme du règlement e-CODEX le 13 janvier 2022. L’ensemble des eurodéputés pourrait voter le texte pendant la session plénière de mars.
Du côté de la profession. Si la profession d’avocat reste mobilisée, elle se félicite que le Parlement européen et le Conseil de l’UE aient suivi les commentaires du Conseil des Barreaux européens (« CCBE ») concernant la proposition e-CODEX. Le CCBE préconisait notamment, l’ajout d’une clause générale sur la non-discrimination et le respect des droits fondamentaux, tels que le droit à un accès effectif à la justice, le droit à un procès équitable et le droit à la vie privée (article 3a), ainsi que la garantie de l’implication des professions juridiques par l’adoption de modalités et de conditions détaillées leur permettant de participer et d’être effectivement consultées, au sein du groupe consultatif et du conseil de gestion du programme e-CODEX (articles 11 et 12).
B. La proposition de règlement eID pour une identité numérique
Autre dossier phare sur la table de la présidence française, la proposition de règlement sur l’identité numérique européenne (eID) présentée le 3 juin 2021 par la Commission. Ce texte met en place une identité numérique européenne individuelle. Chaque citoyen, résident et entreprise de l’Union pourrait ainsi utiliser un portefeuille numérique afin par exemple d’accéder à des services publics ou de remplir une déclaration fiscale dans toute l’Union européenne. Cette proposition de règlement eID modifiant le règlement eIDAS fait suite à un rapport d’évaluation de la Commission révélant que des carences du cadre actuel en termes d’efficacité, d’efficience, de cohérence et de pertinence par rapport aux demandes actuelles.
Du côté des institutions. La répartition des compétences pour l’étude du projet de texte par les différentes commissions du Parlement européen a été faite en décembre 2021. Un vote en commission Itre (Industrie), responsable sur le fond, est attendu pour juin 2022. L’objectif de la présidence française du Conseil est de réaliser un rapport sur l’état des discussions au minimum, voire au mieux, publier une orientation générale, c’est-à-dire parvenir à un accord politique au sein du Conseil en attendant la position du Parlement en première lecture.
Du côté de la profession. Le CCBE publiera prochainement sa prise de position sur le sujet.
C. La proposition de règlement sur les preuves électroniques
La proposition de règlement relatif aux injonctions européennes de production et de conservation de preuves électroniques en matière pénale (« e-Evidence ») est un autre dossier essentiel pour lequel la profession se mobilise. Ce règlement vise l’instauration d’un cadre juridique qui permettrait d’adresser les décisions judiciaires directement aux fournisseurs de services dans un autre Etat membre. Les autorités répressives seraient ainsi en mesure de pouvoir accéder aux preuves se trouvant dans le nuage de n’importe quel fournisseur de services se situant dans l’Union européenne. Ce règlement pourrait également avoir une portée extraterritoriale en s’appliquant aux Etats tiers.
Du côté des institutions. La proposition qui a été présentée le 17 avril 2018 par la Commission, est pour l’instant bloqué au niveau des négociations. Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont des visions divergentes sur plusieurs points. Afin de débloquer les négociations interinstitutionnelles et de reprendre le plus rapidement possible le trilogue, la Présidence française du Conseil de l’Union européenne a présenté une stratégie le 22 décembre 2021. Cette stratégie se base sur cinq grands thèmes dans lesquels peuvent être regroupés les sujets de la proposition : la définition précise du champ des instruments, la notification équilibrée, la garantie des droits de la personne, l’efficacité des modalités d’exécution et le traitement respectueux des preuves obtenues. Le Conseil travaillera en interne sur l’ensemble de ces sujets, en les distinguant en fonction de leur nature (politique ou technique) et de leur degré de contentieux (positions des colégislateurs concordantes, possiblement convergentes ou divergentes).
Du côté de la profession. Le CCBE a publié sa prise de position publiée le 19 octobre 2018. Il a également appelé, le 18 mai 2021, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne à maintenir un niveau élevé de garanties procédurales dans le cadre de leurs négociations sur la proposition de règlement relatif aux injonctions européennes de production et de conservation de preuves électroniques en matière pénale.
D. Le nouveau paquet législatif relatif à la numérisation des systèmes judiciaires de l’Union européenne
Le 1er décembre 2021, la Commission européenne a publié plusieurs initiatives législatives sur la modernisation de la coopération judiciaire à travers la numérisation des systèmes judiciaires de l’Union européenne. Ces initiatives visent principalement à faire des canaux de communication numériques, les canaux par défaut dans les affaires transfrontières. Elles peuvent être regroupées sous 3 volets :
Du côté des institutions. Etant donné la publication récente des textes, les discussions devraient débuter sous la présidence française du Conseil. Une position n’est pas attendue avant la fin de la présidence tchèque du second semestre 2022.
Du côté de la profession. En avril 2021, le CCBE a envoyé ses réponses à la Commission européenne sur la consultation publique précédant cette initiative législative. Le CCBE demande notamment des garde-fous concernant la sécurité ou le type de technologie utilisée, etc. Une prise de position sera publiée dans l’année.
Au-delà des dossiers relatifs à la numérisation de la justice, la proposition de règlement établissant des règles harmonisées concernant d’intelligence artificielle est au cœur des discussions sous la présidence française. Présentée le 21 avril 2021, cette proposition intéresse également le domaine de la justice et donc, nécessairement, la profession d’avocat.
Du côté des institutions. Les négociations autour du texte ont déjà pu avancer sous la présidence slovène, le Conseil ayant déjà procédé à une lecture complète du texte en groupe de travail. Celle-ci a présenté des compromis sur les sept premiers articles. La présidence française souhaite poursuivre ce travail par l’organisation de deux groupes de travail par mois en moyenne. Elle a déjà fait circuler son premier projet de compromis sur ce texte, en particulier sur les articles 8 à 15 et annexe IV relatifs aux exigences applicables aux systèmes d’IA à haut risque. Étant donné la complexité du texte, composé de 85 articles, l’objectif est d’aboutir soit à une orientation générale par un accord politique au sein du Conseil de l’Union, soit à un rapport de progrès sur l’état des discussions lors de la prochaine réunion du Conseil Télécoms (Transports, télécommunications et énergie) du 3 juin 2022.
Du côté de la profession. En dépit d’une approche fondée sur les risques qui est à saluer, la proposition de règlement ne contient pas de dispositions spécifiques relatives à l’utilisation de systèmes d’IA dans le domaine de la justice. Le CCBE a par ailleurs publié sa position sur la législation sur l’IA considérant, notamment, que :
L’un des dossiers les plus importants pendant la présidence française reste le projet des Digital Acts qui visent à répondre aux nouveaux défis posés par l’émergence de géants du numérique. Ainsi, le paquet législatif dévoilé le 15 décembre 2020 est composé de deux propositions de règlement :
Du côté des institutions. Le projet de DMA avance plus vite que le DSA, les trilogues sur le DMA ayant commencé le 11 janvier. L’objectif serait d’aboutir idéalement à un accord fin mars, ayant peu de désaccords entre eurodéputés et Etats membres. Pour le DSA, le Conseil a adopté son approche générale fin novembre 2021. Le Parlement a adopté le rapport de l’eurodéputée Christel Schaldemose le 20 janvier 2022. Cinq trilogues politiques sont prévus. L’objectif serait également d’aboutir à un accord pour fin mars mais les législateurs sont moins optimistes sur ce texte.
Du côté de la profession. Le CCBE a publié sa prise de position en mars 2021. Après avoir souligné que la protection du secret professionnel de l’avocat est une pierre angulaire de l’Etat de droit et du droit à accéder à un tribunal impartial :
Références :
Propositions législatives : > Proposition de règlement relatif à un système de communication informatisé pour les procédures civiles et pénales transfrontières (système e-CODEX) et modifiant le règlement 2018/1726/UE > Proposition de règlement modifiant le règlement 910/2014 /UE en ce qui concerne l’établissement d’un cadre européen relatif à une identité numérique > Proposition de règlement relatif aux injonctions européennes de production et de conservation de preuves électroniques en matière pénale > Paquet législatif relatif à la numérisation des systèmes judiciaires de l’Union européenne > Proposition de règlement établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle (Législation sur l’intelligence artificielle) et modifiant certains actes législatifs de l’Union > Proposition de règlement relatif aux marchés contestables et équitables dans les secteur numérique (Législation sur les marchés numériques) > Proposition de règlement relatif à un marché intérieur des services numériques (Législation sur les services numériques) et modifiant la directive 2000/21/CE CCBE : > Position du CCBE sur la Proposition de règlement relatif à un système de communication informatisé pour les procédures civiles et pénales transfrontières (système e-CODEX) et modifiant le règlement 2018/1726/UE (la « proposition e-CODEX »), 26 mars 2021 > Position du CCBE sur la proposition de la Commission pour un règlement relatif aux injonctions européennes de production et de conservation de preuves électroniques en matière pénale, 19 octobre 2018 > Trilogue negotiations on the e-evidence proposal European media and journalists, civil society groups, professional organisations and technology companies call on decision makers to protect fundamental rights, 18 mai 2021 > Réponse du CCBE à la consultation publique sur la numérisation de la coopération judiciaire transfrontière, 30 avril 2021 > Prise de position du CCBE sur la proposition de règlement établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle (législation sur l’intelligence artificielle), 8 octobre 2021 > Réponse du CCBE à la consultation publique sur l’adaptation des règles de responsabilité à l’ère numérique et à l’intelligence artificielle, 23 décembre 2021 > Position du CCBE sur la législation relative aux services et aux marchés numériques, 26 mars 2021 |
Etat des lieux et perspectives d’évolution (22 juillet 2021) : suivre le lien >