Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour administrative de Luxembourg, la Cour de justice de l’Union européenne (« la Cour ») a eu de nouveau l’opportunité de se prononcer sur le périmètre du secret professionnel de l’avocat.
En l’espèce, à la suite d’une demande de l’autorité fiscale espagnole fondée sur la directive 2011/16/UE relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal (« DAC »), l’administration des contributions directes de Luxembourg a adressé à un cabinet d’avocats, constitué en société en commandite simple au Luxembourg, des décisions lui enjoignant de fournir tous documents et renseignements concernant les services qu’il avait fournis à l’un de ses clients, une société espagnole, dans le cadre de l’acquisition d’une entreprise et d’une prise de participation majoritaire dans une autre.
Le cabinet d’avocats a refusé de transmettre de telles informations au motif qu’elles étaient couvertes par le secret professionnel et a introduit un recours en annulation des décisions d’injonction. L’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg (« OABL ») est intervenu au soutien de la procédure. La juridiction ayant rejeté le recours comme étant irrecevable, un appel a été interjeté devant la Cour administrative de Luxembourg, qui a décidé de poser des questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne.
Les questions préjudicielles concernent, premièrement, l’applicabilité de l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« la Charte »), qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale, à une consultation juridique d’avocat en matière de droit des sociétés ; deuxièmement, la validité de la DAC au regard de l’article 7 de la Charte, compte tenu de l’absence de dispositions relatives à la protection de la confidentialité des communications entre un avocat et son client ; troisièmement, la compatibilité d’une injonction telle que celles adressées au cabinet d’avocats avec l’article 7 de la Charte.
A titre liminaire, il convient de rappeler que dans l’affaire du 8 décembre 2022 (Orde van de Vlaamse Balies e.a., C-694/20), la Cour avait considéré, à l’instar de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, que l’article 7 de la Charte accordait une protection renforcée aux échanges entre les avocats et leurs clients. Elle avait ainsi jugé contraire à l’article 7 la directive 2011/16/UE telle que modifiée par la directive 2018/822/UE (« DAC6 »), en ce qu’elle prévoyait pour l’avocat impliqué dans une planification fiscale transfrontière une obligation de notifier aux autres intermédiaires les obligations de déclaration qui leur incombaient, ceci impliquant pour lesdits intermédiaires de prendre connaissance de l’identité de l’avocat intermédiaire, de l’existence d’une consultation et de son analyse en vertu de laquelle des déclarations devaient être faites, en violation de la confidentialité des échanges.
Dans l’affaire du 26 septembre, eu égard à la différence entre les régimes d’échange d’informations et les actes correspondants respectivement en cause dans les affaires OVB (planification fiscale transfrontière) et OABL (mise en place de structures sociétaires d’investissement), la Cour administrative de Luxembourg demandait à la Cour de confirmer son l’analyse de l’arrêt OVB dans le domaine du droit des sociétés (point 35).
En premier lieu, la Cour a répondu positivement à la question de savoir si une consultation juridique d’avocat en matière de droit des sociétés entre dans le champ de la protection renforcée des communications entre un avocat et son client de l’article 7 de la Charte, ceci ayant pour effet de consolider la jurisprudence OVB. Est bienvenue la clarification de la Cour lorsqu’elle considère qu’une consultation juridique d’avocat bénéficie, « quel que soit le domaine du droit sur lequel elle porte », de la protection renforcée garantie par l’article 7 de la Charte. Partant, la Cour juge qu’une décision d’injonction telle que celle en cause au principal constitue une ingérence dans le droit au respect des communications entre un avocat et son client garanti à cet article. Rappelant son arrêt OVB, la Cour précise qu’une telle protection ressort de la mission fondamentale dans une société démocratique confiée à l’avocat, à savoir la défense des justiciables. Elle indique à cet égard que cette mission fondamentale comporte l’exigence que tout justiciable doit avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat, dont sa profession englobe, par essence, la mission de donner, de façon indépendante, des avis juridiques à tous ceux qui le demandent.
En deuxième lieu, la Cour juge que, malgré le fait que la DAC ne contienne pas de disposition relative à la protection de la confidentialité des communications entre un avocat et son client, celle-ci n’est pas entachée d’invalidité au regard de l’article 7 de la Charte. Après avoir opéré une distinction entre les dispositions de la DAC sur l’échange automatique et obligatoire d’information et l’échange d’information sur demande des autorités, elle considère en effet que la DAC ne prévoit aucune obligation déclarative en ce qui concerne cette 2ème catégorie, comme c’est le cas en l’espèce. En cas d’échange sur demande, elle considère alors que l’Union autorise les Etats membres à ne pas donner suite à une demande d’informations si la réalisation des enquêtes demandées ou la collecte des informations en cause sont contraire à leur législation. Or, il incombe à chaque Etat membre de garantir la protection renforcée des communications entre un avocat et son client. D’où elle conclut que la DAC ne viole pas les articles 7 de la Charte.
En troisième lieu, la Cour s’est prononcée sur la compatibilité d’une injonction telle que celle en l’espèce avec les articles 7 de la Charte. La Cour constate d’abord l’étendue des informations demandées, à savoir l’ensemble de la documentation relative à ses relations avec le client, afférentes à la mise en place de structures sociétaires d’investissement, une description détaillée des opérations ayant fait l’objet de son conseil, une explication de son implication dans les processus et l’identification des interlocuteurs. D’après la loi nationale, sur la base de laquelle a été régulièrement adoptée l’injonction, un avocat ne peut refuser de fournir des renseignements lorsqu’il agit en tant que conseil ou représentant exclusivement en matière fiscale, sauf lorsque la communication de ces renseignements risque d’exposer son client à des poursuites pénales. Cette interdiction a pour conséquence que rien dans le contenu des échanges entre un avocat et son client en matière fiscale ne peut être gardé secret. Or, la Cour considère qu’en soustrayant quasi intégralement à la protection renforcée de l’article 7 le contenu des consultations des avocats en matière fiscale, en d’autres termes la totalité d’une branche du droit, le droit national vide la protection de l’article 7 de sa substance, d’où elle considère que l’ingérence que la loi opère ne saurait être justifiée.
Cet arrêt de la Cour de justice laisse d’autant plus à réfléchir que la Cour de cassation française rendait un arrêt deux jours auparavant dans lequel elle jugeait que si les documents et les correspondances échangés entre le client et son avocat sont, en toutes matières, couverts par le secret professionnel, il demeure qu’ils peuvent notamment être saisis dans le cadre des opérations de visite prévues par l’article L. 450-4 du code de commerce (c’est-à-dire en matière de droit de la concurrence) dès lors qu’ils ne relèvent pas de l’exercice des droits de la défense (Cass Crim, 24 septembre 2024, pourvoi n° 23-84.244).
La réponse efficace à une protection du secret professionnel se trouve dans la jurisprudence européenne.