Saisie d’une requête dirigée contre la Suisse, la Cour européenne des droits de l’homme a interprété, le 9 janvier dernier, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à la liberté d’expression (GRA Stiftung Gegen Rassismus und Antisemitismus c. Suisse, requête n°18597/13). La requérante, organisation non gouvernementale enregistrée en Suisse, milite pour la tolérance et condamne la discrimination fondée sur des motifs raciaux. Elle a été déclarée coupable, par les juridictions nationales, de diffamation envers un homme politique pour avoir classé sur son site Internet sous la rubrique « racisme verbal », un article relatant les propos qu’il avait tenus dans un discours prononcé pendant une campagne organisée en prélude à un référendum relatif à l’interdiction de la construction de minarets en Suisse. Devant la Cour, la requérante alléguait que les juridictions nationales avaient porté atteinte à son droit à la liberté d’expression en concluant à une atteinte aux droits de la personnalité de l’homme politique concerné et en estimant que l’expression « racisme verbal » constituait un jugement de valeur mixte qui nécessitait la présentation de preuves. La Cour constate, tout d’abord, que la condamnation litigieuse constitue une ingérence dans l’exercice du droit de la requérante au respect de sa liberté d’expression, laquelle était prévue par la loi nationale. Elle relève, ensuite, que l’ingérence poursuivait le but légitime de protection de la réputation et des droits d’autrui. Sur la nécessité de l’ingérence litigieuse dans une société démocratique, la Cour observe, enfin, que tant l’article publié par la requérante que le discours prononcé par l’homme politique concerné se sont inscrits dans le contexte d’un débat public intense suscité par le référendum sur l’interdiction de la construction de minarets. Elle estime, à ce titre, qu’en qualité d’acteur de la vie politique, l’homme politique concerné était tenu de faire preuve d’un degré supérieur de tolérance à l’égard des critiques éventuellement formulées par des personnes ou des organisations professant des opinions opposées aux siennes. Elle rappelle que les déclarations de fait peuvent être prouvées, contrairement aux jugements de valeur, et affirme que si les juridictions nationales concluent à un jugement de valeur, alors toute ingérence dans l’exercice de droits doit dépendre de l’existence d’une base factuelle suffisante pour la déclaration en cause. Tenant compte des circonstances de l’espèce et de la tonalité générale des propos, elle considère que la classification du discours de l’homme politique concerné sous la rubrique « racisme verbal » n’est pas dénuée de base factuelle. Examinant la nature et la sévérité de la sanction imposée à la requérante, la Cour considère que, bien que clémente, cette sanction aurait pu produire un effet dissuasif sur la liberté d’expression de l’organisation. Dès lors, la Cour conclut que les juridictions nationales n’ont pas dûment pris en considération les principes et critères énoncés dans sa jurisprudence lorsqu’elles ont mis en balance le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’expression et qu’elles ont ainsi outrepassé la marge de manœuvre qui leur était consentie. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 10 de la Convention. (MT)