Saisie d’un renvoi préjudiciel par le tribunal d’instance de Bordeaux (France), la Cour de justice de l’Union européenne a interprété, le 6 octobre dernier, les articles 39 et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne relatifs, respectivement, au droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen et aux principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines (Delvigne, aff. C-650/13). Le requérant au principal a, en 1988, fait l’objet d’une condamnation définitive pour avoir commis un crime. Cette condamnation a emporté de plein droit sa dégradation civique, consistant, notamment, dans la privation de son droit de vote, d’élection et d’éligibilité. En 1994, le code pénal français a été réformé et la dégradation civique automatique et perpétuelle supprimée. Les nouvelles dispositions ont maintenu, cependant, l’interdiction d’usage des droits civils des personnes condamnées avant l’entrée en vigueur de la réforme. Saisie dans ce contexte, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur le point de savoir si, d’une part, l’article 39 de la Charte doit être interprété comme imposant aux Etats membres de l’Union de ne pas prévoir d’interdiction générale, indéfinie et automatique d’exercer des droits civils et politiques et, d’autre part, si l’article 49 de la Charte doit être interprété comme empêchant qu’un article d’une loi nationale maintienne une interdiction, au demeurant indéfinie et disproportionnée, de faire bénéficier d’une peine plus légère, les personnes condamnées avant l’entrée en vigueur d’une loi pénale plus douce. La Cour constate, tout d’abord, que l’interdiction du droit de vote dont le requérant a fait l’objet constitue une limitation à l’exercice du droit garanti à l’article 39 §2 de la Charte. Elle rappelle, cependant, qu’une telle limitation est autorisée pour autant qu’elle soit prévue par la loi, qu’elle respecte le contenu essentiel desdits droits et libertés et qu’ elle soit nécessaire et réponde effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui. La Cour constate, en l’espèce, que l’interdiction du droit de vote en cause est bien prévue par la loi, qu’elle respecte le contenu essentiel du droit de vote de l’article 39 de la Charte en ne faisant qu’exclure certaines personnes de son bénéfice en raison de leur comportement et sous des conditions spécifiques et, enfin, qu’elle s’avère proportionnée, dès lors qu’elle prend en compte la nature et la gravité de l’infraction pénale commise ainsi que la durée de la peine. La Cour considère, ensuite, que cette conclusion n’est pas remise en cause par la règle de la rétroactivité de la loi pénale plus douce. Elle rappelle, en effet, que cette règle énonce que si, postérieurement à une infraction, la loi prévoit une peine plus légère, celle-ci doit être appliquée. Or, elle observe qu’en l’espèce, la dégradation civique du requérant avait été prononcée de manière définitive avant l’entrée en vigueur de la réforme. Dès lors, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’appliquer la rétroactivité de la loi pénale plus douce. Partant, elle conclut que les articles 39 et 49 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’une législation d’un Etat membre exclut de plein droit du nombre des bénéficiaires du droit de vote aux élections au Parlement européen les personnes qui ont fait l’objet d’une condamnation pénale pour crime grave devenue définitive avant le 1er mars 1994. (KO)