Saisie d’un renvoi préjudiciel par le Hof van Cassatie (Belgique), la Grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne a interprété, le 6 février dernier, l’article 14, point 1, sous a), du règlement 1408/71/CEE relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté et du règlement 574/72/CEE fixant les modalités d’application du règlement 1408/71/CEE (Altun, aff. C-359/16). Dans l’affaire au principal, l’administration belge a diligenté une enquête sur l’emploi du personnel d’une entreprise de droit belge dans le secteur de la construction qui confiait la totalité des tâches manuelles en sous-traitance à des entreprises bulgares. Selon cette enquête, ces dernières n’avaient aucune activité en Bulgarie et détachaient des travailleurs afin de les faire travailler en sous-traitance en Belgique. L’emploi de ces derniers n’était pas déclaré auprès de l’institution belge chargée de la perception des cotisations de sécurité sociale, dans la mesure où ces travailleurs disposaient de certificats E 101 délivrés par l’institution bulgare compétente. Les autorités belges ont demandé à cette dernière le retrait des certificats mais celle-ci s’est abstenue de se prononcer sur cette demande. Elles ont alors introduit des poursuites judiciaires à l’encontre des requérants au principal. Saisie dans ce contexte, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur le point de savoir si un juge autre que celui de l’Etat membre d’envoi peut annuler ou écarter un certificat E 101 délivré en vertu de l’article 11 §1 du règlement 574/72/CEE si les faits soumis à son appréciation permettent de constater que ledit certificat a été obtenu ou invoqué de manière frauduleuse. La Cour rappelle que le règlement 1408/71/CEE vise à promouvoir la libre prestation de services au bénéfice des entreprises qui en font usage en envoyant des travailleurs dans d’autres Etats membres que celui dans lequel elles sont établies. Ainsi, l’article 14, point 1, sous a), du règlement permet à l’entreprise de conserver l’affiliation de ses travailleurs au régime de sécurité sociale de l’Etat membre d’établissement de l’employeur, sous réserve du respect de 2 conditions, à savoir, d’une part, l’existence d’un lien organique entre l’entreprise qui procède au détachement et le travailleur et, d’autre part, l’exercice habituel par ce dernier d’activités significatives sur le territoire de cet Etat membre. A cet égard, la Cour relève que le principe d’interdiction de la fraude et de l’abus de droit constitue un principe général du droit de l’Union européenne et que l’institution de l’Etat membre d’exercice peut saisir l’institution émettrice des certificats d’éléments concrets semblant indiquer leur obtention frauduleuse. Selon la Cour, si cette 2nde institution s’abstient de procéder au réexamen du bien-fondé de la délivrance du certificat dans un délai raisonnable, ces éléments doivent pouvoir être invoqués dans le cadre d’une procédure judiciaire. En l’espèce, l’enquête menée par l’inspection sociale belge semble indiquer l’absence d’exercice d’activité significative en Bulgarie et l’obtention frauduleuse desdits certificats. Constatant que l’autorité bulgare s’est abstenue de prendre en compte cette enquête aux fins d’un réexamen du bien-fondé de la délivrance des certificats, la Cour considère que le juge national peut écarter les certificats E 101 et que, partant, il lui appartient de déterminer si les personnes soupçonnées d’avoir eu recours à des travailleurs détachés sous le couvert de certificats obtenus de façon frauduleuse sont susceptibles de voir leur responsabilité engagée sur la base du droit national applicable. (JJ)