Saisie d’une requête dirigée contre la Roumanie, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a interprété, le 5 septembre dernier, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit au respect de la vie privée et familiale (Bărbulescu c. Roumanie requête n°61496/08). Le requérant, ressortissant roumain, a été licencié au motif qu’il avait enfreint le règlement intérieur de son entreprise interdisant l’usage des ressources de l’entreprise à des fins personnelles. En effet, après avoir mis en place une surveillance des communications électroniques de ses employés, l’employeur a constaté que le requérant avait utilisé Internet pour échanger avec des membres de sa famille et a procédé à son licenciement, lequel a été validé par les juridictions nationales. Devant la Cour, il se plaignait que la décision de l’employeur de le licencier après avoir surveillé ses communications et avoir eu accès à leur contenu, qui a été transcrit lors de la procédure disciplinaire, reposait sur une violation de son droit à la vie privée et que les juridictions nationales avaient manqué à leur obligation de protéger ce droit, en violation de l’article 8 de la Convention. La Cour constate que, malgré le fait que la surveillance des communications du requérant a été réalisée par une entreprise privée, l’Etat a l’obligation positive de garantir la jouissance du droit consacré à l’article 8 de la Convention. A cet égard, elle considère que les Etats ont une marge d’appréciation étendue pour évaluer la nécessité d’adopter un cadre juridique régissant les conditions dans lesquelles un employeur peut adopter une politique encadrant les communications non professionnelles de ses employés sur leur lieu de travail. Néanmoins, elle précise que cette marge n’est pas illimitée et que les juridictions nationales doivent s’assurer que la mise en place de mesures de surveillance s’accompagne de garanties adéquates et suffisantes contre les abus. En particulier, les autorités nationales doivent tenir compte de plusieurs critères, tels que l’information préalable de l’employé de la possibilité d’être surveillé et de la mise en place d’une surveillance, l’étendue de la surveillance ainsi que le degré d’intrusion de l’employeur, l’existence de motifs légitimes justifiant la surveillance, la possibilité de mettre en place des mesures moins intrusives, les conséquences de la surveillance pour l’employé et l’existence de garanties adéquates. En l’espèce, la Cour recherche si les autorités nationales ont mis en balance le droit du requérant au respect de sa vie privée et les intérêts de l’employeur. Elle constate que les juridictions nationales ont manqué de vérifier les différents critères précités. Dès lors, elle considère que celles-ci n’ont pas protégé de manière adéquate le droit du requérant au respect de sa vie privée et de sa correspondance, ne ménageant pas un juste équilibre des intérêts en jeu. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 8 de la Convention. (MS)