Saisie d’une requête dirigée contre la Suède, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a interprété, le 23 août dernier, l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif à l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (J.K. e.a. c. Suède, requête n°59166/12). Les requérants, un couple marié et leur fils, de nationalité irakienne, demandeurs d’asile en Suède, ont été visés par une décision d’expulsion vers l’Irak. Ils alléguaient que leur expulsion vers l’Irak aurait emporté la violation de l’article 3 de la Convention. La Cour relève, notamment, que plusieurs membres de la famille des requérants ont été visés par des menaces et soumis à des formes graves de violence de la part d’Al-Qaïda, du fait des activités du premier requérant, l’époux, et des relations commerciales que celui-ci entretenait avec les forces américaines. Elle constate que le récit des requérants quant aux faits survenus est globalement cohérent, crédible et compatible avec les informations pertinentes sur le pays d’origine provenant de sources fiables et objectives. Dès lors que les requérants ont subi des mauvais traitements de la part d’Al-Qaïda, la Cour estime qu’il existe un indice solide démontrant qu’en Irak ils demeureraient exposés à un risque émanant d’acteurs non étatiques. Elle précise que le premier requérant appartient à un groupe de personnes systématiquement pris pour cible en raison de ses liens avec les forces armées américaines. En outre, la Cour admet que rien ne corrobore l’hypothèse que les menaces d’Al-Qaïda avaient cessé lorsque le premier requérant avait mis fin à ses relations commerciales avec les forces américaines. Compte tenu des circonstances propres de l’affaire, la Cour estime que s’ils étaient renvoyés en Irak, les requérants seraient exposés à un risque réel de continuer à subir des persécutions de la part d’acteurs non étatiques. En outre, au regard de la situation générale complexe et instable du pays en matière de sécurité, la Cour considère que la capacité des autorités irakiennes à protéger les citoyens pris pour cibles est amoindrie. Elle note que dans la situation actuelle, elle n’est pas convaincue que l’Etat irakien serait à même de fournir une protection effective aux requérants contre les menaces provenant d’Al-Qaïda ou d’autres acteurs privés. Par conséquent, la Cour considère qu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que les requérants, s’ils sont renvoyés en Irak, y courront un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Elle considère donc que la mise en œuvre de la décision d’expulsion emporterait violation de cette disposition. (AB)