Saisie d’une requête dirigée contre la Croatie, la Cour européenne des droits de l’homme a interprété, le 28 juin dernier, l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit à la liberté d’expression (Radobuljac c. Croatie, requête n°51000/11 – disponible uniquement en anglais). Le requérant, un ressortissant croate, est avocat. Alors qu’il représentait un client dans une procédure, il n’avait pas pu être présent lors d’une audience, en raison de la panne de son véhicule. Le juge siégeant dans cette affaire a décidé de suspendre la procédure pendant 3 mois. Le requérant a fait appel de cette décision. Il a, notamment, expliqué les raisons qui l’avaient empêché d’être présent à l’audience. Il a, également, fait référence aux agissements du juge à un stade antérieur de la procédure, qu’il a qualifié d’inacceptables et ajouté que les audiences tenues jusqu’alors avaient été dénuées de substance. Le juge a alors décidé d’infliger au requérant une amende pour avoir fait des déclarations qui constituaient une insulte grave contre le tribunal et lui-même. Le recours exercé par le requérant contre cette décision a été rejeté au motif que par ses propos, le requérant avait outrepassé les limites du rôle d’un avocat dans une procédure judiciaire. Invoquant l’article 10 de la Convention, il soutenait qu’il n’avait fait que critiquer les agissements du juge dans l’affaire en question et qu’il n’avait fait aucune allusion au pouvoir judiciaire dans son ensemble. La Cour indique qu’il lui faut déterminer si l’ingérence constatée au droit protégé par l’article 10 de la Convention est nécessaire dans une société démocratique. A cet égard, elle relève que la liberté d’expression des avocats est liée à leur indépendance, cruciale à la bonne administration de la justice. Les avocats ont le devoir de défendre les intérêts de leurs clients avec zèle et doivent parfois s’opposer ou se plaindre de la conduite des juges. Néanmoins, leur critique ne doit pas franchir certaines limites. En particulier, une distinction claire doit être faite entre la critique et l’insulte. En l’espèce, la Cour note que les remarques ont été faites dans le contexte d’une procédure judiciaire, connectées à celle-ci et confinées à la salle d’audience. Par ailleurs, sur la nature des remarques, la Cour précise qu’elles ne relevaient pas de l’insulte. En effet, elles visaient la manière dont le juge a conduit la procédure et étaient donc strictement limitées à la performance du juge vis-à-vis du cas de son client et distinctes d’une critique générale sur ses qualités professionnelles ou autres. La Cour estime, dès lors, que les juridictions internes ont échoué à trouver le juste équilibre entre la nécessité de protéger l’autorité du pouvoir judiciaire et la nécessité de protéger la liberté d’expression du requérant. Le requérant n’ayant pas dépassé les limites de la critique admissible au sens de l’article 10 de la Convention, l’ingérence litigieuse ne saurait être considérée comme ayant été nécessaire dans une société démocratique. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 10 de la Convention. (MF)