Saisie d’un renvoi préjudiciel par la Cour de cassation (France), la Cour de justice de l’Union européenne a interprété, le 11 mars dernier, l’article 1er, point 1, de la directive 2003/6/CE sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché) et l’article 1er §1 de la directive 2003/124/CE portant modalités d’application de la directive 2003/6/CE en ce qui concerne la définition et la publication des informations privilégiées et la définition des manipulations de marché (Lafonta, aff. C-628/13). Dans le litige au principal, une société française spécialisée dans l’investissement a conclu avec 4 banques des contrats de « Total Return Swaps » qui portaient sur un total de 85 millions d’actions de Saint-Gobain, conférant à la société une exposition économique à Saint-Gobain. La société a, ensuite, officiellement pris la décision de transformer cette exposition économique en détention physique de titres l’amenant à acquérir 17,6% du capital de cette dernière. L’Autorité française des marchés financiers (« AMF »), dans le cadre d’une enquête sur les conditions de montée au capital de Saint-Gobain par la société requérante, a conclu que celle-ci avait, dès l’origine, la volonté de prendre une participation significative dans le capital. Dès lors, l’AMF l’a sanctionnée pour n’avoir pas divulgué au public ni les principales caractéristiques de l’opération financière ni l’information privilégiée consistant en la mise en place de l’opération financière en cause. La juridiction de renvoi a interrogé la Cour sur le point de savoir si les articles 1er, point 1, de la directive 2003/6/CE et 1er §1 de la directive 2003/124/CE doivent être interprétés en ce sens que seules peuvent constituer des informations à caractère précis au sens de ces dispositions celles dont il est possible de déduire, avec un degré de probabilité suffisant, que leur influence potentielle sur les cours des instruments financiers concernés s’exercera dans un sens déterminé, une fois qu’elles seront rendues publiques. La Cour constate, tout d’abord, qu’il ne ressort pas du libellé des directives que les informations à caractère précis ne viseraient que celles qui rendent possible la détermination du sens que pourrait prendre une variation du cours des instruments financiers concernés ou des instruments financiers dérivés qui leur sont liés. La Cour ajoute, ensuite, que l’article 1er §1 de la directive 2003/124/CE n’exclut de la notion d’« information privilégiée » que des informations vagues ou générales, qui ne permettent de tirer aucune conclusion quant à leur effet possible sur le cours des instruments financiers concernés. La Cour précise, en outre, que, s’il était admis qu’une information ne puisse être réputée à caractère précis qu’à la condition qu’elle permette de déterminer le sens de variation du cours des instruments financiers concernés, il en résulterait que le détenteur d’informations pourrait prétexter l’existence d’une incertitude à cet égard pour s’abstenir de rendre publiques certaines de ces informations et en tirer ainsi profit au détriment des autres intervenants sur le marché. Partant, la Cour conclut que l’article 1er, point 1, de la directive 2003/6/CE et l’article 1er §1 de la directive 2003/124/CE doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’exigent pas, pour que des informations puissent être considérées comme des informations à caractère précis au sens de ces dispositions, qu’il soit possible de déduire, avec un degré de probabilité suffisant, que leur influence potentielle sur les cours des instruments financiers concernés s’exercera dans un sens déterminé, une fois qu’elles seront rendues publiques. (AB)